Citation (de l 'ancien livre des exhortations) qui figure en préface du livre de José Saramago :
"Si tu peux voir, regarde. Si tu peux regarder, observe."
José Saramago, écrivain:
"Il fut un temps où je répondais que je ne voulais pas voir les visages de mes personnages, quand on me demandait des adaptations de mes romans au cinéma. Disons que j'étais une espèce de radical de l'écriture : tout ce qui ne passait pas par des mots couchés sur du papier n'existait tout simplement pas. Fernando Mereilles fut une des victimes de mon intransigeance. Quand parut au Brésil L'Aveuglement, en 1995,il m'écrivit immédiatement pour manifester son intérêt en une prochaine adaptation. Cela aurait dû être son premier film, avant La Cité De Dieu et avant même The Constant Gardener s'il ne s'était retrouvé face au mur de résistance de l'auteur quant à connaître les acteurs ou autre réalité qui allaient donner vie et consistance aux figures dessinées par son imagination. Enfin, je ne me rappelle pas du tout de ce qui suivit. Ai-je écrit à Fernando, lui exposant mes raisons ?Ne lui ai-je pas écrit finalement, laissant le silence répondre à ma place ?Il doit le savoir, bien mieux que moi. Il ne reste plus à l'auteur du livre qu'à lui demander pardon et à le remercier pour sa bonté d'esprit, bonté qui lui permit d'accepter mon refus sans la moindre acrimonie. Surtout que maintenant oui je les connais, les visages de mes personnages. Est-il nécessaire de dire que je les ai aimés ? Est-il nécessaire de dire que j'ai aimé le film, énormément ? Jamais je n'oublierai l'émotion terrible qui s'empara de moi en voyant passer derrière une fenêtre, en file indienne, ces femmes qui vont payer de leurs corps la nourriture qui leur avait été soutirée, à elles et à leurs hommes. Cette image résume pour moi tout le calvaire de l'existence de la femme au cours de l'Histoire.."
Don McKellar, scénariste :
"Être aveugle ressemble beaucoup au jeu du comédien, il s'agit d'apprendre très tôt à accepter l'humiliation. Quelques fois vous allez être ridicule, vous allez vous cogner dans les murs,vous allez rater l'urinoir. Vous passerez pour un imbécile, ce qui,au fond, est-ce que vous découvrez lors de votre première année d'école de théâtre où vous apprenez à être vulnérable sur scène,à permettre aux gens de voir votre insécurité et votre embarras. Devenir aveugle ressemble beaucoup au parcours de l'acteur."
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Zoom avant
Une longue quête
C'est en 1995 que José Saramago publie le roman L'Aveuglement. Don McKellar découvre la traduction anglaise en 1997,mais c'est seulement au festival de Mar del Plata où il présente son film Last Night qu'il laisse entendre au producteur Niv Fichman de Rhombus Media qu'il réfléchit à une adaptation du livre. "Saramago a écrit sur des choses dont j'avais parlé dans Last Night mais il aborde les problèmes d'une manière plus exacerbée" constate Don McKellar.
Après lecture du livre, le scénariste Niv Fichman partage l'enthousiasme de Don McKellar et décide d'acquérir les droits d'adaptation.
Malheureusement, l'agent de José Saramago leur annonce que les droits du livre ne sont pas disponibles, que ce soit pour eux ou pour tous les autres acquéreurs potentiels (parmi lesquels Whoopi Goldberg, Diego Luna, ou même Fernando Meirelles).
"J'ai longtemps résisté, car il s'agit d'un récit violent sur la dégradation sociale et je ne voulais pas qu'il tombe entre n'importe quelles mains" confie José Saramago au New York Times en 2007.
L'aveuglement (Poche)

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L'Évangile selon Jésus-Christ (Poche)

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La lucidité (Poche)

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Les intermittences de la mort (Broché)

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Lorsque Saramago reçoit le prix Nobel de Littérature en 1998, les deux scénaristes McKellar et Fichman sont persuadés que leurs chances d'aboutir s'amenuisent mais ils insistent tant qu 'en juillet 1999, Fichman reçoit un appel de l'agent de Saramago : il est prêt à les rencontrer à Lanzarote aux Iles Canaries.
Toutes affaires cessantes, McKellar quitte un festival de cinéma en Australie et Fichman prend l'avion de Toronto. Les deux hommes se retrouvent à l'aéroport de Lanzarote. "Je crois que Saramago a été impressionné par notre implication " se souvient McKellar, "Il a cru en notre intégrité et a été rassuré par le fait qu 'aucun studio n 'était lié au projet … Il a aussi dit qu'il aimait le fait que nous soyons Canadiens."
Au départ Fichman et McKellar pensaient que L'Aveuglement résumait les tragédies du XX e siècle. En 2003,durant le long travail d'adaptation, l'épidémie de SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) toucha Toronto, leur ville, qui fut stigmatisée lorsque l'OMS diffusa un avertissement sans précédent dissuadant les voyageurs de s'y rendre. Le SRAS fut suivi du Tsunami en décembre 2004 puis par l'ouragan Katrina à La Nouvelle Orléans en août 2005. Réaliser que tous ces événements avaient entraîné des violations des droits de l'homme les amena à voir en ce livre bien plus qu'un roman historique.
En 2006, Niv Fichman et Don McKellar comprennent que l'ampleur de l'adaptation demande un réalisateur confirmé.
"Je ne connaissais pas du tout Fernando," dit Niv Fichman.. "J'avais seulement vu ses films et lu des interviews. Quand je rêvais à qui serait parfait pour Blindness je rêvais de l'énergie cinétique et du jeu naturaliste de La Cité de Dieu alliés à l'élégance et au très subtil caractère politique de The Constant Gardener tant pour le livre que pour le film."
Il n'aura fallu que cinq minutes de conversation avec Niv Fichman pour convaincre Meirelles de réaliser le film, accompagné de son équipe de La Cité de Dieu : César Charlone,le directeur de la photographie avec lequel il travaille depuis 20 ans, Tulé Peake, le chef décorateur, Guilherme Ayrosa pour le son et Daniel Rezende au montage.
Le choix du réalisateur
Le choix du réalisateur brésilien signifiait que Niv Fichman et la productrice japonaise Sonoko Sakai ajoutaient le Brésil à leur mélange nippo-canadien. Tous les extérieurs du film ont été filmés à Sao Paolo au Brésil, ainsi cela permettait de satisfaire une des conditions de Saramago : situer l'histoire dans une métropole anonyme non-européenne.
Le réalisateur comprend après plusieurs lectures que le récit pourrait être interprété de plusieurs manières : comme une métaphore sur les réactions politiques et individuelles aux récentes catastrophes naturelles ;une parabole sur les angers du monde futur et sur le fait de refuser de voir ce qui se passe autour de nous ; une méditation sur nos instincts primitifs ou encore comme un essai sur la faiblesse désespérée ou a contrario l'étonnante force de la conscience humaine.
Il souhaitait que le film développe tous ces aspects à la fois et pas uniquement un seul.
Parabole politique
Le roman, parabole profondément politique, est libéré des conventions du réalisme par le minimalisme de Saramago. Fernando Meirelles croit qu'il est possible d'avoir une lecture politique des événements de Blindness. Autre aspect du roman : le voyeurisme, plus exacerbé dans le film. Dans le livre, seule la femme du médecin peut voir ce qui se passe autour d'elle alors que dans le film, si la femme du médecin est témoin, les spectateurs le sont aussi. Le scénariste McKellar l'explique ainsi : "Comme la femme du médecin, nous observons les gens et cela pose la question de savoir s'il est humain de regarder sans agir. Vous êtes aussi confrontés à des choses que vous ne souhaiteriez pas forcément voir. Vous voulez la liberté de regarder ailleurs, de tourner la tête mais ce n'est pas permis. "
Contrairement à la plupart des films, Blindness n'adopte pas un seul point de vue. Au début, c'est celui du réalisateur qui s'intéresse successivement à chaque nouvelle victime de l'épidémie. A l'hôpital, cela devient l'histoire de la femme du mèdecin puisqu'elle est la seule qui puisse voir.
Julianne Moore rousse
L'actrice Julianne Moore connaissait le travail de Fernando Meirelles.
Elle savait aussi qu'il voulait faire ce film mais n'avait pas lu le livre. L'actrice a fait sensation quand elle est arrivée en blonde sur le tournage. Meirelles lui avait demandé de se couper les cheveux mais elle avait décidé de pousser la transformation plus loin. L'idée lui était venue en lisant le scénario."J'ai eu l'intuition que c'était le bon choix pour le personnage. Être roux vous fait sortir du lot, vous appartenez à une minorité. Je voulais que l'épouse puisse se fondre dans la majorité."
Expériences sensorielles
Avec dix acteurs principaux et 150 figurants sur le lieu de tournage (une prison à Guelph Ontario), plus 300 à 400 figurants (dont deux non-voyants)à Montevideo, Uruguay, puis à Sao Paolo, Brésil, les coaches du film, Christian Duurvoort et Barbara Willis Sweete ont développé une technique perfectionnée afin d'apprendre aux voyants à agir comme des aveugles. "Il faut un minimum de huit heures pour enseigner une cécité récente convaincante" dit Duurvoort.
Les ateliers étaient constitués de deux sessions de quatre heures qui exploraient l'espace, les expériences sensorielles des odeurs et des sons,des exercices physiques individuels et collectifs. Tous commençaient par environ une heure et demie de travail les yeux bandés ce qui permettait aux acteurs de commencer à comprendre un mouvement indépendant de la vision.
"Pour les aveugles,l'espace est ce que le corps touche. Les voyants entendent des sons auxquels ils ne sont pas attentifs,mais pour les aveugles,ils sont très importants" poursuit Duurvoort.
"Puis, les bandeaux étaient retirés, pour aller progressivement d'un jeu les yeux fermés à un jeu les yeux ouverts. Les acteurs principaux pouvaient choisir de jouer avec des lentilles qui les rendaient aveugles, une solution souvent choisie pour les scènes intenses qui leur permettait de se concentrer sur leur jeu plutôt que sur leur cécité feinte.
Au début, j'ai demandé les lentilles", confie Alice Braga, "il y avait trop de choses auxquelles penser pour pouvoir éviter de regarder. Il fallait aussi ressentir les émotions et parler dans différentes langues."
Anecdotes
Blindness a été présenté en Compétition Officielle, et en Ouverture, lors du Festival de Cannes 2008. Suite à cette projection, Fernando Meirelles a souhaité retoucher le montage de son film. La voix-off a été supprimée, ainsi que plusieurs scènes qui ont été coupées alors que d'autres, originellement absentes, ont été réintroduites dans le montage final.
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